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C. Dognini- I. Ramellli- Editions Certamen
Traduction et par Damien Bighini
« Les Apôtres en Inde » - écrit à deux voix- est un livre qui se présente comme une enquête historiographique minutieuse, et même sourcilleuse. C’est très exactement la traduction d’un ouvrage paru en italien en 2002. Il s’inscrit dans le cadre des interrogations suscitées par le travail de Pierre Perrier autour de saint Thomas en Inde, (et plus récemment, en Chine).
De quoi s’agit-il précisément ? Il s’agit de déterminer à partir de l’examen comparatif de sources diverses l’historicité de la prédication apostolique en Inde et en particulier de celle de saint Thomas, attestée par l’existence de communautés chrétiennes qui se réclament de l’apôtre.
Les sources examinées sont de deux types : les sources classiques - (gréco-romaines)- et les sources indiennes, mais aussi les sources arabes et syriaques, et les sources chrétiennes. Deux chapitres sont par ailleurs consacrés à l’analyse des sources sanscrites, sous l’angle plus général d’une rencontre entre le christianisme et le bouddhisme dont on peut trouver quelque écho dans la littérature bouddhique.
Nous avons affaire à une historiographe avisée qui rappelle que la valeur de ces sources ancienne est évidemment problématique. Il y a les topoï répercutés par les sources « littéraires » et les historiens forcément plus fiables. Soit. Et il y a également la question de ce qu’on appelle l’Inde dans ces textes au statut divers. C’est sans doute là que le livre pèche par un excès de prudence : s’il répercute avec intelligence ce que disent les textes, il laisse le lecteur dans l’indétermination et se refuse à une localisation que pourtant, l’analyse appelle.
Cette question de ce qu’on appelle l’Inde parcourt l’ouvrage en pointillé. Les textes antiques regroupent sous cette dénomination des territoires indo-parthes, indo-scythes, kouchans, - ce qui renvoie à des dominations politiques et à des peuplements – comme la Bactriane ou l’Hyrcanie – spécification géographique. C’est un peu court jeune homme, comme dirait Cyrano.
Bien sûr, les relations entre l’Inde et le monde classique, autrement dit, la Grèce et Rome sont anciennes et pas du même ordre. Mais même si l’ouvrage révise le topos qui voudrait que les relations entre Grecs et Indiens se fussent inaugurées au moment du raid éclair que l’on doit à l’arrogance guerrière et au génie militaire d’un jeune macédonien ivre de domination, il n’exploite pas suffisamment ce que pourtant il fait émerger : un cadre de relations entre ce qu’on appelle l’Orient et l’occident. Et dans cet « Orient », - hellénisé et romanisé, avant d’être christianisé (et plus tard islamisé) - l’Inde. Car si les Grecs sont des guerriers – les sources indiennes évoquent ces Yavanas ivre de combat et qui en périront, avec Rome ce sont des relations commerciales qui sont au cœur des échanges et de l’intérêt mutuel que se portent les deux sphères culturelles. Or, entre Rome et l’Inde, il y a d’abord la médiation des Achéménides, (puis celle des Parthes, qui semble oubliée). En bref, entre Rome et l’Inde, il y a la médiation iranienne, ce que l’auteur ne fait pas suffisamment ressortir.
C’est que son propos est d’abord de regarder avec un soin d’entomologiste ces sources diverses, qui présentent parfois des contradictions ou des incompatibilités. Les deux auteurs tenus pour les mieux informés sur l’Inde avant Alexandre : Scylax et Ctésias, sont mentionnés, mais une hirondelle ne fait pas le printemps. « Seules les rencontres entre groupes nombreux permettent les échanges d’ampleur anthropologique ». Et donc une portée historique… Là, nous sommes d’accord.
Première des conclusions un peu nettes : « l’itinéraire privilégié pour rejoindre l’Inde depuis l’Occident passe par la Bactriane et les cols afghans ». Et une conséquence: toutes les régions du centre sud et une partie de l’Inde transgangétique ont été épargnées par les invasions et sont restées à l’écart des routes commerciales. Cette « Inde méridionale » ne s’ouvrira qu’après que la route commerciales avec pour centre le port d’Alexandrie sera ouverte sous les Ptolémées. Sans doute manque t-il quelques éléments sur ces grandes routes commerciales qui organisent un monde déjà relié, pas seulement en guerre.
C’est donc dans ce cadre que l’on entrevoit plus qu’il n’est véritablement établi, mais dont on perçoit quelques contours, que s’inscrivent « les missions chrétiennes, dont la patristique a gardé le souvenir » (p. 55).
C’est Pantène – maître de Clément d’Alexandrie - la source la plus ancienne, autrement dit, c’est un « alexandrin ». Ce fait n’est sans doute pas suffisamment souligné : il appartient à cette école prestigieuse : le didaskaleion. La tradition a retenu une mission de ce Pantène (une sorte de nonce apostolique) en Inde, mission dont on n’a que des éléments indirects, par Eusèbe, Origène et Jérôme. Or, les sources, en particulier Eusèbe, atteste de l’existence d’un évangile de saint Matthieu, écrit en caractères hébraïques (selon toute vraisemblance araméen).
La conclusion est prudente : on ne peut rejeter la possibilité d’un apostolat de type judéo-chrétien, partant de Palestine, qui aurait pu rejoindre l’Inde à travers les régions mésopotamiennes ou l’Arménie.
Il faut donc alors s’attacher plus précisément à la mission de saint Thomas. C’est une synthèse précieuse des travaux sur la question, mais qui s’attache en particulier aux liens entre les Eglises de Syrie et celles de l’Inde, ou ce qu’on en connait. Bon nombre de spécialistes considèrent que l’Eglise syriaque, qui a pour centre Edesse, est une église des premiers siècles et toutes les sources sont examinées avec attention, ainsi que les diverses hypothèses (p. 84 et suivantes). Mais qu’est-ce qu’on entend par mission « judéo-chrétienne » ? Le terme n’est pas heureux et pas suffisamment défini. Il brouille la lecture.
La conclusion est sous le signe de la raison prudentielle des historiographes : « l’analyse critique des témoignages rapportées par la tradition ne plaide donc pas en faveur de l’historicité d’un apostolat de saint Thomas en Chine » ? Soit. Mais le travail de Mme Ramelli est lié à saint Thomas en Inde, pas en Chine. On chercherait en vain quelque analyse historiographique de sources chinoises.
Par contre, elle admet que la « tradition sur les missions indiennes de Thomas et Barthélémy permet, notamment à la lumière des données historiques et archéologiques, d’envisager a minima la possibilité de cette première œuvre d’évangélisation ».
Il faut en fait passer les deux chapitres sur la littérature sanscrite et aller directement au chapitre VII, le christianisme en Inde sous Constantin- du moins pour garder une cohérence des aires culturelles. Il est particulièrement intéressant et reprend cette question brûlante : qu’est ce qu’on entend quand on parle de l’Inde (en terme de géographie) ?
Ces pages sont précieuses qui examinent avec soin comment s’est constitué la géographie de l’Inde, distinguant l’Inde intra gangem et extra gangem : Inde ulterior et Inde cisterior. C’est le Gange qui constitue la frontière entre l’Inde du Nord ouverte vers le Caucase et cette Inde méridionale restée en dehors des grands circuits.
Qu’il y ait eu deux missions successives en Inde, soit. Mais on s’attend dans un travail de cette qualité à ce que soit distingué une première évangélisation apostolique et les évangélisations successives, quand le christianisme a élaboré ses outils de catéchèse, autrement dit son « canon. Quant aux deux aires reliées entre elle, l’Inde et l’Ethiopie, on ne peut comprendre ces questions géographiques que cartes à l’appui. Et il n’y a pas de cartes…
Quel est le problème soulevé ?
D’un côté, les sources chrétiennes indiquent que les chrétiens de ces régions entre l’Euphrate et l’Indus disposaient en époque constantinienne d’une solide organisation ecclésiale, dotée de sièges épiscopaux, de monastères et du culte des martyrs ; de l’autre il semble que les relations entre l’Occident et ce qu’on appelle l’Inde, se soient relâchées vers la fin du IIème siècle pour reprendre au IVème siècle.
Il faut reformuler : si on admet un relâchement des liens entre l’Inde et l’Occident, à quoi est-il du, et dans quelle mesure a-t-il eu une incidence sur le christianisme.
Et sans doute faut-il faire intervenir l’émergence non seulement du bouddhisme, mais surtout de Mani et de la religion qui va se développer autour de ce personnage, précisément dans cette aire entre l’Euphrate et l’Indus.
On sort de cet ouvrage - tout à fait remarquable - avec le sentiment d’un festin disparate au cours duquel on nous aurait donné des mets raffinés et délicats à manger, avec un hôte absent.
Que manque t-il ?
D’abord que les contours géopolitiques dans lesquels les missions indiennes – dont l’historicité ne semble guère contestable : comment expliquer sinon qu’à l’époque constantinienne, ces églises disposent d’une telle organisation – ne soient pas seulement esquissés à trait brefs mais plus largement et plus hardiment posés, et seul ce cadre pourrait éclairer les sources historiographiques et mettre en perspective les étapes de la connaissance de l’Inde, en particulier géographique.
Il manque ensuite l’idée que l’historiographie est au service d’hypothèses hardies, qu’elle doit ouvrir des voies nouvelles, faire surgir des perspectives. Comment admettre que nous devions ordonner l’intrépidité de notre raison à des sources dont on nous répète à l’envie qu’elles sont fragiles, précaires, et pas toujours cohérentes ?
Mais cette enquête historiographique fournit un instrument de travail précieux, et de haute tenue. Elle fait pénétrer le travail de Pierre Perrier dans la sphère universitaire, et elle ouvre des perspectives dans l’analyse des relations entre le bouddhisme et le christianisme[1].
Surtout la traduction en langue française permet un accès direct à ce travail et donne accès à des sources nouvelles – italiennes et allemandes – méconnues ou inconnues, sur lesquelles cette enquête patiente s’appuie toujours avec professionnalisme.
Marion Duvauchel
[1] A travers les deux chapitres dont je n’ai pas rendu compte. Mais j’invite le lecteur à les découvrir… Ils feront l’objet d’une petite étude ultérieure.
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« Une haute culture n’est jamais l’effet d’une haute politique. Mais à l’inverse une haute politique est toujours l’effet d’une haute culture »Friedrich Nietzsche
Les transformations techniques, les ruptures mentales induites par l’usage de plus en plus effréné de la technologie, l’entrée dans la mondialisation ont contribué à profondément bouleverser
notre rapport aux lettres à la culture. Derrière ce qui peut apparaître comme une frénésie de consommation culturelle, se cache en réalité une misère culturelle de moins en moins dissimulable et
de plus en plus manifeste. L’illettrisme et l’inculture sont tels que certains en viennent même en penser que la culture est définitivement morte en Europe. Dans « Règles pour le parc humain »,
Peter Sloterdijk diagnostique ainsi la fin de l'humanisme lettré. Même s’il convient de ne pas tomber dans le catastrophisme, il est clair qu’un certain nombre d’enquêtes récentes et de résultats
statistiques ont de quoi alarmer. Le rapport aux lettres comme du reste le rapport aux arts et à la science est de plus en plus compromis. Il n’est pas imaginable de penser que demain
surviendront des sociétés dans lesquelles – comme dans la vision cauchemardesque décrite dans Fahrenheit 451 – il n’y aura plus de lettres et où tous les livres auront été brûlés. Pire on peut
parfaitement imaginer la survenue d’une société dans laquelle les livres seraient certes conservés – au moins sous forme de fichiers numériques – mais où il n’y aurait plus personne pour les
lire.Le danger qui nous guette de ce point de vue n’est sans doute pas tant la disparition du support livre lui-même que celle des conditions propices à l’exercice de la lecture et au décryptage
des œuvres. Dès à présent, le rapport aux lettres apparaît largement problématique pour nombre de nos concitoyens.Nombre d’entre eux lisent moins d’un livre par an et plus nombreux encore sont
ceux qui lisent moins d’un livre par mois. Comme le suggère une expression française lourde de sens, il se pourrait qu'il y ait à l’avenir de plus en plus de lettres mortes. Déjà, avec le
hurlement sauvage et sadique de l'argent du capitalisme tardif, tout ce qui faisait jadis le charme des salons et de l’univers lettré a disparu – plaisir de la conversation, élégances mondaines,
art de la table, bel esprit, codes aristocratiques, art de la correspondance … - Même par rapport à un passé plus récent, les transformations subies par le monde des lettres ces dernières années
ont été considérables. La phase industrielle qui avait caractérisée en particulier le XIXe siècle et la première moitié du XXe – avec l’émergence de la presse à grand tirage, des prix
littéraires, des maisons d’édition, du livre de poche – renvoie désormais à une époque lointaine et révolue. L’éclipse des petites maisons d'édition, des magazines littéraires et philosophiques,
n’a d’égal que le misérable état matériel de nos enseignants.Nous assistons à une dévalorisation générale du rapport aux lettres et par suite à un déclassement social sans précédent du lettré.
Des personnes qui il y a un siècle encore auraient fait figure de princes de l’esprit oud e références intellectuelles et morales et que l’on serait venu consulter avec respect et componction
font figure aujourd’hui de déclassés et de parias.Ce renversement des valeurs traduit une très grave crise de l’esprit. Il est le corollaire du triomphe de l’argent qui caractérise l’actuelle
société d’hypercapitalisme financiarisé. Le rapport au temps qu’il contribue à inverser, la suppression des médiations, l’accès immédiat et quasi instantané qu’il donne à l’argent et aux plaisirs
qui sont censés aller avec sont autant d’éléments qui ont contribué à inverser le fonctionnement traditionnel de nos sociétés et à rompre le pacte séculaire que celles-ci avaient conclu aussi
bien avec ses membres qu’avec la nature elle-même. Il en est résulté une inversion des rapports existant traditionnellement à l’intérieur de l’ordre du savoir, de l’avoir et du pouvoir. Dans
chacun de ces domaines, l’ordre naturel a été inversé et la pyramide mise tête en bas. Les plus ignares gouvernent les plus savants. Les plus paresseux et les plus faibles exercent un chantage
permanent à l’encontre des plus courageux ou des plus nantis. Enfin, les fausses élites – celles qui ne vivent que par le vice, le mensonge et la prédation – dictent leur loi aux vraies élites –
celles qui fondent leur conduite sur les valeurs de noblesse, de courage et de dévouement.Pourtant il existe des raisons d’espérer. Le triomphe des puissances d’argent ne durera sans doute pas
indéfiniment arrogant et la faillite annoncée du capitalisme financier annonce peut-être un retour de l'humain. L’humanité est ainsi faite que c’est toujours dans les périodes de crise
qu’elle a su trouver l’énergie nécessaire au salutaire rebond. Comme le rappelle avec raison Georges Steiner « C'est dans les abris, sous le Blitz, à Londres, qu'a repris la lecture massive des
classiques. Les grandes valeurs tiennent notre conscience en vie. Le kitsch ne peut pas les remplacer. Dans des temps très difficiles, nous pourrions revenir aux grandes œuvres. Jamais lessalles
de concert et les musées n'ont été aussi fréquentés. Il existe donc des raisons d’espérer. »
Pour autant, il convient de rester lucide sur la gravité de la situation présente. Rarement le vide intellectuel aura été si manifeste. Rarement l’inculture aura été aussi sidérale. Même aux
pires heures de l’empire romain décadent on n’avait pas connu cela. Il faut remonter aux pires heures de la domination mérovingienne ou des conquêtes huniques pour voir le spectacle de la
barbarie et de l’inculture s’étaler avec tant de force et tant d’ostentation. Les signes contraires ne manquent pas. L'inculture est assumée, voire revendiquée, y compris dans les couches
les plus élevées de la société. La télévision et la Toile saturent l'existence. C'est très inquiétant, particulièrement en France, où la vie de l'esprit a toujours été très politique, très
publique, très exemplaire. Une grande partie de la perte d’identité de la France et du sentiment de malaise ressenti année après année par les Français vient incontestablement de là. De ce
rapport désacralisé à la connaissance et de ce nivellement des valeurs qui rend indiscernables le pur chef d’œuvre et l’immonde torchis.Cela dit, ces technologies qui miment la tradition
classique pourraient aussi être de très grands outils de dissémination pédagogique. Par internet, n'importe quelle petite école peut accéder aux plus grandes œuvres. Les pays asiatiques sont les
premiers à avoir su tirer le parti de cette situation nouvelle et tirer toute le bénéfice de ce contexte nouveau. On voit ainsi année après année débarquer sur le marché du travail de jeunes
indiens ou de jeunes chinois nourris de haute littérature, pratiquant à merveille les arts européens – musique, peinture, architecture –, excellant dans les disciplines scientifiques les plus
difficiles. Des élèves qui allient souvent à une authentique puissance de travail d’époustouflantes qualités d'intelligence, d'enthousiasme, de puissance créatrice.
Ces élèves ont pour caractéristique commune de ne pas avoir renoncé au savoir ni aux pédagogies traditionnelles. Leur système d’apprentissage est fondé sur la mémoire. Mieux que d’autres, ils ont
compris que sans la mémoire il ne saurait y avoir de culture. En ce sens, ils sont peut-être les vrais descendants des européens – les vrais continuateurs de la Grèce et de Rome. Les Grecs
avaient en effet vu toute l’importance de la mémoire. Ce n’est du reste pas un hasard s’ils en avaient fait la mère de toutes les Muses. Ils savaient que ce qu'on ne peut pas apprendre par
cœur, on ne le connaîtra jamais profondément, on ne l'aimera jamais assez.
La France a connu des périodes où la culture était une religion. Après avoir chassé les prêtres et banni le culte catholique, elle a crû trouver dans cette conservation artificielle mais en soi
louable du passé un ersatz de foi. Las ! Ce temps lui-même semble définitivement révolu. Aux antipodes du vieux fonds catholique de ce pays qui interdisait de parler d’argent à table et faisait
des valeurs d’humilité, de courtoisie, de pudeur et de respect les principes premiers de toute vie en société, la génération 68 a ouvert grand les vannes de la grossièreté – Hara Kiri, l’immonde
ancêtre de Charlie Hebdo ne se définissait-il pas comme le journal bête et méchant ! – et laisser partout déferler le culte de l’immonde et le spectacle de la vulgarité. Partout triomphent
l’argent et la pornographie.La haine viscérale professée par les élites de ce pays contre le Christ et tout ce qui, de près ou de loin, peut évoquer le christianisme, s’est traduit de
manière très logique par une exacerbation des comportements païens les plus ignobles, par un culte toujours renouvelé rendu au veau d’or et par une déconsidération sans borne de tout ce qui
faisait la marque du courage. Longtemps célébrés les héros antiques ont été assassinés une seconde foi et relégués une bonne foi pour toutes dans les poubelles de l’histoire. En lieu et place des
héros et des saints, on nous somme d’adorer des idoles – qui portent bien leur nom – dont la cuistrerie et la veulerie n’ont d’égale que l’imbécillité et l’inculture. Dans ce schéma d’inversion
total les premières victimes du processus d’inversion ont été les personnes dépositaires de l’aura sacrale : prêtres, religieux, lettrés, professeurs, soldats…Dans un enchaînement parfaitement en
phase avec ce qui constitue la logique d’inversion de la modernité, tous ceux qui étaient dépositaires d’un peu d’autorité ont été diffamés et raillés puis neutralisés, évincés et parfois exclus
même de la société.Comment s’étonner dès lors que les professeurs ne disposent plus d’autorité. Leur émasculation est inscrite dans l’ADN même du logiciel postmoderne. Dans les années 50, il eût
été impensable qu’un élève contestât la parole d’un professeur. L’enseignant était roi en son royaume et le jury, selon l’expression consacrée, était souverain. Il existait une différence
substantielle, ontologique serait-on presque tenté de dire entre le maître et l’élève, entre le détenteur du savoir et celui qui n’en était au mieux que le quémandeur. Il arrivait à certains
professeurs en entrant dans la classe de dire à leurs élèves comme pour mieux marquer cette différence : « Messieurs, c'est vous ou moi. » C’était sans doute un peu rude dans la forme mais tout
était dit sur le fond.Revenir à cette discipline mentale supposerait de revenir sur 50 années d’inversion psychologique, mentale, anthropologique et culturelle. De s’imposer une discipline
physique et une ascèse mentale dont les élites en place ne veulent à aucun prix, qu’une large partie de la population redoute et dont l’immense majorité des masses se révèle tout simplement
incapable. De changer fondamentalement les paradigmes sur lesquels nous avons laissé bâtir nos sociétés depuis 50 ans.Chose d’autant plus difficile que le pouvoir est aujourd’hui aux mains de
ceux qui ont précisément appliqué avec méthode ces principes destructeurs durant 50 ans et dont le succès illustre aux yeux de la jeunesse le triomphe cynique en quelque sorte. Rappelons que les
deux produits qui engendrent la plus grande circulation d'argent du monde sont la pornographie, les armes et la drogue. Les chiffres d’affaires des mafias qui contrôlent ces marchés se chiffrent
à des centaines de milliards d’euros. Considérer que la libre diffusion de ces poisons constitue l’avenir radieux promis par la modernité et la loi ultime du progrès c’est scier la branche même
sur laquelle nous sommes assis. L’entreprise de reconquête du pouvoir et de la culture passera nécessairement par la mise hors d’état de nuire de ces réseaux mafieux dont le triomphe est une
insulte quotidienne aux règles mêmes du bon sens et du droit. Elle passera par une lutte sans merci – à l’image de celle qu’avait engagée en son temps Eliot Ness contre Al Capone – pour mettre
hors d’état de nuire les chefs de gangs et autres trafiquants de drogue. Elle passera par un combat sans merci contre tous ceux qui, ouvertement ou tacitement, directement ou insidieusement
tentent de minimiser la gravité de ces actes ou d’en réduire la portée sociale, se rendant ainsi complice d’un système qui assure le triomphe du plus cruel, du plus rusé et du plus pervers.La
tâche est immense on le voit. A la hauteur du défi.
David Mascré
Interview de Georges Steiner parue sous le titre « Steiner : Spinoza, Harry Potter et moi », Le Point n°1845, 4 janvier 2008.