Par Ivan Blot
Première remarque : Les forces de la mort viennent de marquer un point en Irlande. Ce 23 mai 2015, un référendum décidé par le gouvernement a donné 62% des voix en faveur du mariage homosexuel. Mais il y a eu presque 40% d’abstentions. Beaucoup de personnes hostiles ont préféré ne pas voter pensant que le résultat était déjà acquis comme les médias l’annonçaient sans cesse. Toute l’oligarchie politique était pour le « oui ». En fait, 1,2 millions de personnes ont voté pour le « oui » sur 3,2 millions d’électeurs inscrits. On est donc loin de la majorité absolue ! la victoire du mariage gay est relative, et un autre référendum, avec une participation plus grande, pourrait défaire ce qu’a fait celui-ci.
Deuxième remarque : en séparant le mariage de sa cause finale (avoir des enfants), on détruit son essence. Le mariage devient un simple caprice au service des instincts du cerveau reptilien. Les animaux ne se « marient » pas car ils ne connaissent pas l’existence au sens humain du terme. Le mariage homosexuel est une contrefaçon totale du mariage authentique, qui puise certes, ses racines dans la nature, mais qu’il transfigure par la tradition culturelle et spirituelle, qui en Europe, repose sur le christianisme, même pour les athées.
Troisième remarque : le cerveau humain est composé de trois parties, une partie reptilienne qui exprime les instincts (chaotiques chez l’homme), une partie mammifère qui dirige la vie sentimentale (c’est le « cœur » dont parlent les pères de l’église) et une partie propre à l’homme et qui permet le calcul et le langage abstrait. La civilisation consiste à allier ces deux derniers cerveaux, coeur et intellect, pour discipliner le cerveau reptilien capable de tous les caprices et de tous les excès. Le mariage homosexuel donne ses lettres de noblesse au cerveau reptilien. Avec des arguments de logique abstraite tirées de l’idéologie égalitaire, il légitime tous les caprices chaotiques du cerveau reptiliens en en faisant des « choix ». C’est la victoire du reptile sur la personne humaine, notion chrétienne qui élève l’homme vers la divinité.
Quatrième remarque : ces réformes lancées par une oligarchie mondialiste antichrétienne vont couper le monde occidental de tout le reste du monde qui reste attaché aux traditions humanistes, chrétiennes mais aussi reconnues par d’autres religions traditionnelles. Ces réformes vont renforcer l’islamisme le plus radical qui va dénoncer de plus en plus violemment la « bestialité » occidentale car c’est ainsi que l’Occident sera perçu.
Cinquième remarque : l’adoption du mariage homosexuel s’ajoute à toute une panoplie idéologique qui a pour but la non reproduction et donc la mort de l’Occident qui est fasciné par son propre suicide. L’idélogie « childfree » joue un rôle mortifère : childfree ne veut pas dire « sans enfants » mais « libre de ce fardeau qu’est l’enfant » (free veut dire libre). La liberté est de ne pas avoir d’enfants pour travailler plus et consommer plus : l’homme est considéré comme une matière première du système techno-économique comme l’avait prédit le philosophe Heidegger. L’idéologie « childfree » est narcissique, et sans amour ; c’est la mort de l’humanisme classique et chrétien.
L’histoire montre que les sociétés qui méprisent les enfants, le mariage authentique, la propriété et le droit à la vie (malmené par l’avortement et l’euthanasie) sont des sociétés qui disparaissent. Les sociétés qui survivent respectent la vie, l’enfant, le couple homme femme, et le droit de propriété ainsi que les racines culturelles nationales. C’est ce qu’a fort bien montré le prix Nobel Friedrich Hayek dans son livre sur « la prétention fatale ».
Comme l’a dit le président de la Russie Vladimir Poutine à la session du Club de Valdai de 2013, en reniant leurs traditions, les peuples occidentaux se suicident peu à peu.
Si aucune réaction n’apparait, ils seront remplacés par d’autres peuples qui eux, sont restés fidèles à leurs traditions.
Ce qui arrive aujourd’hui est pire que l’atteinte aux droits de l’homme : c’est la disparition même de l’homme dans ce qui fait son essence et assure sa dignité. C’est la vocation de l’homme de devenir pleinement homme, beau et bon (kaloslagathos en grec ancien) qui est remise en cause au profit d’une vie ludique de divertissement. Shakespeare décrit cette vie comme une « histoire absurde dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et n’ayant aucun sens. » Or la « vocation » de l’homme à être lui-même passa avant ses « droits ». Le droit n’est rien sans le socle de la métaphysique.
Les mots « foi » et « fidélité ont la même racine. L’homme sans foi est prêt à trahir sa lignée et son pays et son essence existentielle propre. L’homme sans espérance est prêt à déserter car sans espérance, il n’a pas de courage pour combattre. L’homme sans charité, donc sans amour, est atteint de stérilité et n’aura ni enfants ni postérité spirituelle. Trahison, désertion et stérilité sont les lots des hommes qui rejettent les vertus de la tradition.
C’est pourquoi l’Occident ne survivra et n’existera comme civilisation, élevant l’homme de la bête vers le Divin, que s’il retrouve ces trois vertus de la tradition chrétienne : foi, espérance et charité !
Ivan Blot
"Ce qui est cause, c'est l'hétérosexualité en tant que norme. Il nous faut essayer de penser un monde où
l'hétérosexualité ne serait pas normale."
Eric Fassin, sociologue, promoteur de la théorie du genre en France, professeur à l'Ecole Normale Supérieure.
"Les enfants n'appartiennent pas à leurs parents."
Laurence Rossignol, sénatrice PS, 5 avril 2013, en direct sur France 2, émission Ce soir ou jamais.
"Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s'émanciper... Il faut être capable d'arracher l'élève à tous les déterminismes : familial, ethnique, social, intellectuel"
Vincent Peillon, Le Figaro, 2/9/2012
"Toute l'opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l'Eglise"
Vincent Peillon, Une religion pour la République, p. 277, édition du Seuil, 2010
"Il faut donc à la fois déraciner l'empreinte catholique qui ne s'accommode pas de la République et trouver, en dehors des formes religieuses traditionnelles, une religion de substitution qui arrive à inscrire jusque dans les moeurs, les coeurs, la chair, les valeurs et l'esprit républicain sans lesquels les institutions républicaines sont des corps sans âme qui se préparent à tous les dévoiements"
Vincent Peillon, ibid, p. 34
"La laïcité française, son ancrage premier dans l'école, est l'effet d'un mouvement entamé en 1789, celui de la recherche permanente, incessante, obstinée de la religion qui pourra réaliser la Révolution comme promesse politique, morale, sociale, spirituelle. Il faut pour cela une religion universelle : ce sera la laïcité. Il lui faut aussi son temple ou son église : ce sera l'école. Enfin, il lui faut son nouveau clergé : ce seront les hussards noirs de la république".
Vincent Peillon, ibid, p. 48
"Il faut toucher un maximum de gens avec des messages subversifs et politiques."
La réalisatrice du film Tomboy a propos de son film projeté en classes de primaire.
"Je suis pour la GPA accessible à tous les couples."
Jean Pierre Michel, sénateur PS, rapporteur du texte de loi sur le mariage pour tous au sénat.
"Des parents, un géniteur, une gestatrice peuvent permettre ensemble la venue au monde d'un enfant."
Najat Vallaud Belkacem, porte-parole du gouvernement.
"Il faut en finir avec la filiation biologique." Erwan Binet, député PS et rapporteur de la loi Taubira
"Une femme doit pouvoir avoir accès à la PMA parce qu'elle ne souhaite pas avoir de relations avec un homme."
Francois Hollande
"Il s'agit de substituer à des concepts tels que "le sexe" ou "la différence sexuelle" le concept de "genre" qui montre que les différences entre le différences entre les hommes et les femmes ne sont pas fondées sur la nature mais socialement construites. [...] [La théorie du genre] se borne à dire que les hommes et les femmes ne se retrouvent pas dans leur état biologique et se construisent autrement."
Julie Sommaruga, député PS
« Je ne vois aucun inconvénient ni pour les unions à plusieurs, ni pour les unions polygames, ni pour l’inceste.
»
idem
"Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant !"
Pierre Bergé au Figaro
« Admettre la différence des sexes, c’est admettre la complémentarité des sexes, donc la domination patriarcale,
donc l’oppression et l’aliénation de la femme »
Judith Butler, philosophe féministe du genre
« Le droit à l’adoption pour les couples homosexuels repose sur une filiation fondée sur la volonté individuelle, et la volonté n’a pas de sexe… »
Daniel Borillo, Sénat
« La famille est une construction sociale créée par les hommes pour dominer les femmes. »
Roselyne Bachelot, janv 2013
« Revendiquer l’égalité de tous les individus quels que soient leur sexe et leur orientation sexuelle c’est déconstruire la complémentarité des sexes et donc reconstruire de nouveaux fondements républicains »
« Il s’agit donc de déconstruire la complémentarité des sexes pour transformer en profondeur la société. »
Réjane Sénac, chercheure au CNRS affectée au Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF), enseignante à Sciences-Po Paris et à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3, source rapport du SNUipp, page 24-25
« Je pense qu’en matière du lien de filiation, le mariage est devenu tout à fait secondaire. [...]
Il me paraît évident que le groupe que je préside préconisera d’ouvrir la possibilité d’adoption aux couples non mariés, parce que, tout simplement, ça va de soi. »
Irène Théry, sociologue, directrice d’étude à l’EHESS et nommée présidente d’un groupe de travail par Dominique Bertinotti dans le cadre de la Loi Famille
« Pour pouvoir abolir le mariage, il faut d’abord que tout le monde puisse en bénéficier. Ce que vous évoquez est tout à fait envisageable [l’abolition du mariage] […] c’est l’étape suivante ».
Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris, festival « Mode d’emploi » à Lyon, nov 2013
« Une proposition que je vous soumets, ce serait de disjoindre la parentalité et la conjugalité – pourquoi ne pas proposer dès la naissance des enfants, disons juste après le sevrage, une disjonction des maisons, c’est-à-dire une résidence alternée dès la naissance. Au moins, les femmes anticiperaient une carrière maternelle comme les hommes anticiperaient une carrière paternelle [...]. Les hommes pourraient envisager des métiers où ils seraient bien obligés une semaine sur deux de s’occuper des enfants. Ce qui veut dire qu’au moment de la séparation, les choses seraient beaucoup plus simples : il n’y aurait plus de séparation puisqu’on serait déjà séparés.»
Caroline Mécary, avocate au barreau de Paris, ibid.
Théorie du genre, le gouvernement vous ment, les médias vous mentent
Théorie du genre - Farida Belghoul explique les pressions exercées sur les parents
Théorie du genre - Alain Escada défie Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem
Signez et faîtes signer la pétitionwww.ecole-libre.com
Les cadres de la droite républicaine sont peu nombreux à s'exprimer longuement sur le thème de la Manif pour tous, qui a pourtant suscité une forte mobilisation dimanche dernier. Curieusement, l'UMP ne parvient pas à se positionner par rapport à ces électeurs qu'elle n'assume pas tout à fait, et dont elle a pourtant besoin.
Comme un lapin aveuglé par des phares
Atlantico : A l'exception d'Hervé Mariton, l'UMP s'est peu exprimée sur la Manif pour tous de ce weekend. Cette distance est-elle voulue ? Que traduit-elle ?
Guillaume Bernard :
Il y avait effectivement peu de ténors de l’UMP ; il
y en avait quelques uns : il est également possible de citer, par exemple, Henri Guaino. Cependant, il est vrai que l’UMP n’a pas officiellement appelé à manifester ; elle a
comme déserté le terrain. Plusieurs raisons à cela. La première, c’est sans doute que ce parti n’avait pas anticipé la grande réussite de cette manifestation. Il est, tactiquement, resté
à l’écart dans la crainte qu’il y ait une faible mobilisation (par essoufflement du mouvement de premier semestre 2013) et que cela ne ternisse son image. La seconde raison, plus importante,
c’est que l’UMP est profondément divisée sur les questions « éthiques » et « sociétales » et ne voulait pas prendre le risque d’un déchirement à la veille
d’élections.
Cela vient du processus historique par lequel la droite s’est constituée. Depuis la Révolution, la vie politique française a été marquée par le mouvement sinistrogyre (Albert Thibaudet) :
les nouveaux courants sont venus par la gauche de l’échiquier politique et ont repoussé sur la droite ceux qui étaient nés antérieurement. Pendant deux siècles, la gauche a donc, petit à
petit, intellectuellement colonisé presque toute la droite ; elle lui a imposé ses références et l’essentiel de ses valeurs. Puisque la droite s’est constituée par sédimentation, il
existe inévitablement en son sein des incompatibilités entre les idées initialement de droite (disons, pour simplifier, conservatrices du point de vue des enjeux « moraux ») et celles
classées à droite mais antérieurement de gauche (pour l’essentiel inspirées par le libéralisme).
Jean Garrigues : Il est certain qu'une partie de la réponse tient dans la désorganisation actuelle de la droite, dans son état de décomposition, que l'indécision du retour de Sarkozy n'arrange pas. D'autre part, le sujet majeur depuis le début du quinquennat de Hollande, c'est avant tout le redressement économique et le chômage. Alors l'image projetée par les participants à la Manif pour tous de dimanche est-elle incompatible avec le projet et l'image que l'UMP veut aujourd'hui renvoyer ? La question est légitime. Je pense, comme Hervé Mariton, que cette Manif pour tous est le reflet d'une partie de l'électorat de la droite : traditionnel, conservateur sans doute, et plus provincial que parisien. C'est une sensibilité de la droite indéniable, mais qui a été quelque peu oubliée, notamment à l'époque de Nicolas Sarkozy. Son hyperprésidence et ses côtés bling bling étaient mal perçus pars cette droite-là. Un effort de reconquête devrait être fourni. La question est de savoir si cette base de l'électorat correspond de droite correspond à ce qu'on dit aujourd'hui des militants de l'UMP, qui seraient beaucoup plus radicaux sur les questions de sécurité ou d'immigration que les cadres. On ne peut pas en dire qu'il s'agit des mêmes droites.
Alors que les manifestants ont été étiquetés par plusieurs médias comme réactionnaires voire proches de l'extrême droite, la droite a majoritairement laissé dire. Faut-il y voir la marque d'un malaise à l'égard des Français qui se reconnaissent au moins en partie dans les revendications de la Manif pour tous ? Si oui d'où vient ce malaise ?
Jean Garrigues : Il n'est pas du tout certain que les valeurs de cette manifestation soient le reflet d'un électorat FN, et même de la droite UMP d'aujourd'hui. Ils sont plus ancrés dans la tradition de la droite française, et il est possible que la direction actuelle de l'UMP ne veuille pas donner l'impression d'une inflexion vers l'extrême droite, qui serait associée à tort à la Manif pour tous. Il est possible qu'il s'agisse d'une faute stratégique. Dans des mouvements comme Civitas, l'intégrisme catholique est évident, et on le retrouve dans certains courants du militantisme du FN, et même dans l'histoire de ce dernier. Mais la manifestation de dimanche, qui était familiale et paisible, reflète quelque chose d'autre de la France profonde, différent de ceux qui se dirigent vers le FN. L'antisystémisme et la virulence qui siéent à l'extrême droite n'étaient pas du tout à l'ordre du jour.
Guillaume Bernard : Dans sa
globalité, la mouvance de la Manif pour tous rassemble des personnes issues de diverses sensibilités tant partisanes (centre démocrate-chrétien, UMP, FN) que religieuses (tendances
« progressiste » et "traditionnaliste"). Qualifier les manifestants de réactionnaires pour, à l’évidence,
les disqualifier, c’est le signe d’une croyance (quasi-religieuse) en un sens inéluctable de l’histoire vers le « progrès ».
Il y a donc bien un malaise idéologique qui traverse tous les partis de droite. Le personnel politique n’a sans doute pas encore pris pleinement conscience des mouvements
doctrinaux de fond. Qu’on l’approuve ou le déplore, la Manif pour tous, ce n’est pas le village gaulois assiégé qui résiste, c’est une illustration, parmi d’autres (en particulier le populisme),
du nouveau mouvement des idées. Elle s’inscrit dans ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre ». Pour résumer, l’expansion des idées de gauche (même si elles restent
encore très présentes dans le milieu politico-médiatique) a connu un arrêt brutal avec la chute du régime soviétique. Les idées de droite, qui avaient été comprimées par le sinistrisme,
se redéploient, regagnent du terrain. Les concepts venus de la gauche sont en train d’y retourner, dégageant ainsi de l’espace politique pour les idées originairement de droite.
Précisons que le mouvement dextrogyre vient par la droite de l’échiquier politique mais qu’il n’est pas le monopole de la droite radicale : il l’englobe et la dépasse. Qu’ils en approuvent
ou non les conséquences, le mouvement dextrogyre met les hommes politiques devant une alternative : adapter leurs programmes pour maintenir leur créneau électoral (ligne Buisson) sur
l’échiquier politique ou accepter de glisser sur leur gauche s’ils entendent maintenir leur discours (stratégie Fillon).
Des mouvements tels que celui-ci viennent-ils finalement souligner un décalage qui se serait installé entre les élus et l'électorat de droite ?
Guillaume Bernard :
À la division doctrinale interne (évoquée plus haut)
de l’actuel principal parti de droite, s’ajoute effectivement une distorsion entre une grande partie de ses électeurs et ses cadres. La « base » est, globalement,
idéologiquement plus à droite que ceux qu’elle élit (sans vraiment les connaître mais parce qu’ils ont l’étiquette requise, celle dont elle se sent la plus proche). La prohibition du
mandat impératif n’arrange, de ce point de vue, pas les choses. Sur les questions « sociétales », et à l’occasion de la question du mariage homosexuel, le peuple de droite a fait
l’amère découverte que ceux qui le représentaient ne partageaient pas instinctivement ses valeurs…
De manière plus générale, les mouvements comme la Manif pour tous ou les Bonnets rouges illustrent la rupture de confiance entre le peuple et les politiques. Une défiance
s’installe entre les citoyens et les élites. Pour preuve, il suffit de se rappeler, dans les tous derniers mois, le décalage entre le discours sinon « officiel » du moins
« autorisé » et les réactions de l’opinion publique : la condamnation médiatique du bijoutier de Nice qui a tué la personne venue l’agresser et le voler n’a nullement empêché
l’affirmation d’un immense soutien sur les réseaux sociaux ; la surenchère « sans-frontiériste » à l’occasion de l’affaire Léonarda a connu un échec total.
Jean Garrigues : Le décalage existe, et de toute manière ce type de manifestation qui se pérennise répond à une recherche d'expression hors des partis politiques traditionnels. Cette insatisfaction est en cohérence avec la période de crise morale de la société française que nous traversons, avec un fossé manifeste entre les élites de gauche comme de droite et leur base. De même que certains maires socialistes ont rendu leur carte, on voit un peuple qui ne se reconnaît pas dans l'offre politique, qu'elle soit étiquetée UMP ou FN.
Jean Garrigues : Dans l'hypothèse où la Manif pour tous serait le reflet d'une droite dure, se rapprochant du FN, on comprendrait la volonté de la droite républicaine de ne pas s'en rapprocher. Mais c'est une erreur d'analyse, puisqu'il s'agit fondamentalement d'un électorat de droite qui menacerait d'échapper à l'UMP.
Guillaume Bernard : Tant que l’UMP n’aura pas clarifié ses positions doctrinales, il lui sera difficile de prétendre récupérer ce mouvement dans son
intégralité. D’ailleurs, il semble bien qu’elle ne le cherche plus, contrairement au printemps dernier. En fait, elle ne le veut sans doute pas vraiment pour les raisons
suivantes :
- par peur de créer des dissensions internes renforçant les facteurs d’implosion ;
- pour rester à l’écart d’un mouvement qui, à l’évidence, a fait sauter les barrières partisanes au sein de la droite ;
- et, enfin, parce que le risque de se couper d’une partie non négligeable de son électorat (les catholiques pratiquants, prédominants dans la Manif pour tous, représentent environ un quart
des suffrages qu’elle engrange) est, en fait, mesuré.
En effet, le comportement électoral des catholiques est assez bien connu : ils votent très majoritairement à droite et pour les forces politiques modérées (encore qu’ils
semblent, ces derniers temps, se radicaliser quelque peu). Il s’agit donc d’un électorat presque captif, auquel les partis politiques de droite n’ont pas vraiment à faire de promesses (ni à les
tenir). L’UMP n’a donc, a priori, pas vraiment besoin de s’investir dans la Manif pour tous, autrement qu’en y envoyant quelques uns de ses représentants, pour récupérer ses suffrages. Les
catholiques ne peuvent sérieusement envisager de devenir une force politique qui pèse (sinon pour emporter du moins pour faire basculer un scrutin) qu’en devenant un électorat flottant,
c’est-à-dire changeant son comportement électoral (participation ou abstention) et son bulletin en fonction des circonstances et de l’offre électorale.
Dans l’état actuel des choses, le risque politique est peut-être moins pour les partis que pour la Manif pour tous qui a une énorme capacité de mobilisation mais une structuration encore faible.
Va-t-elle résister au mirage de la politique « politicienne » ? Va-t-elle être un instrument de la libération des catholiques de leur déterminisme électoral ou, à l’inverse,
va-t-elle se laisser happer par le système partisan ?
Jean Garrigues : Christine Boutin, par exemple, s'est positionnée en symbiose avec la Manif pout tous. Elle est beaucoup plus compatible avec cette identité que le FN, surtout que ce dernier revendique aujourd'hui la laïcité, et des valeurs qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Y compris sociologiquement, cette France ne correspond pas au FN, elle n'est pas celle du prolétariat ou des campagnes abandonnées. Il faut plutôt regarder du côté de ce que le politologue René Rémond appelait "la droite légitime". Des gens comme Christine Boutin ou Henri Guaino n'ont pas le mérite d'être des références politiques majeures. On peut d'ailleurs penser que ce type d'électeur pourrait se reconnaître dans la figure d'Alain Juppé ou de François Fillon, qui incarnent la tradition de la droite.
Guillaume Bernard : De manière
générale, les partis politiques modérés raisonnent en termes électoraux et non sociaux. Ils n’ont donc pas vu venir les mouvements de contestation nés ces derniers mois et n’ont pas pu
en être les moteurs. Ils craignent, d’ailleurs, de prendre une position claire sur des sujets qu’ils jugent trop « clivants » et de prendre le risque de perdre des électeurs. En outre,
en raison de leur refus – par ce qu’ils pensent être du pragmatisme alors qu’il ne s’agit que de conformisme et de subjectivisme – de toute doctrine permettant d’envisager une analyse
globale de la société, ils peinent à innover en termes programmatiques. De même, l’autoreproduction des élites (formation identique, népotisme) handicape le renouvellement des idées. Les discours
politiques tournent donc de plus en plus à vide et les programmes deviennent des auberges espagnoles (chaque mesure visant un créneau électoral) sans cohérence. Parmi les différentes fonctions
que la science politique reconnaît généralement aux partis politiques (structuration de l’opinion publique, élaboration programmatique), il semble que seule la sélection des candidats soit encore
vraiment assurée par eux. Au final, ils apparaissent opportunistes et clientélistes : cela peut écœurer les électeurs tentés de se tourner vers l’abstention ou le vote
sanction avec un bulletin FN.
Dans le cas plus particulier de la Manif pour tous, ce qui a fait sa force, c’est qu’elle a su rassembler des personnes aux appartenances partisanes diverses qui ont mis leurs différences de côté
pour, ensemble, défendre une cause et agir sur l’ensemble de la classe politique. Sa force politique (autre que sa capacité à réunir des foules) ne se réalisera concrètement que si elle
refuse tout compromis avec l’ensemble des partis politiques. Elle ne doit se rallier à aucun d’eux car elle aurait tort de croire qu’elle peut attendre autre chose d’un parti qu’une
volonté de canaliser électoralement ses sympathisants (par exemple, en offrant des postes à ses « anciens » cadres). Croire qu’elle pourra faire de l’entrisme, obtenir la reconnaissance
de ses revendications en « plaçant » certains de ses membres dans un parti, c’est ne pas connaître le fonctionnement (cynique) de la vie politique. Hors mis le cas de personnalités
(nationales ou locales), un candidat a besoin, pour être élu, d’une étiquette. Des cadres de la Manif pour tous l’obtiendront sans grandes difficultés, en particulier s’il s’agit d’un scrutin de
liste (chaque parti devant avoir des représentants des différents créneaux électoraux). Le « piège » se refermera alors sur eux. Car, pour être réélus, il leur faudra l’investiture du
parti qu’ils n’obtiendront, cette fois, qu’en acceptant de mettre leurs idées trop « clivantes » dans leur poche.
Pour faire grandir son influence, la Manif pour tous devra se transforme en un authentique lobby n’ayant strictement aucun état d’âme partisan : elle doit prendre tous les
partis sans exclusive comme des interlocuteurs mais aussi comme des cibles. Elle trouvera, toujours, sans qu’elle ait besoin de compromis, des parlementaires (convaincus ou en mal de notoriété)
prêts à reprendre une proposition de loi fournie, discrètement, clef en main. Puisqu’elle a mis en place une charte pro-famille à destination des candidats aux élections, la Manif pour tous
pourrait, par exemple, se focaliser sur la mise en place d’un réseau ayant pour but de contribuer à faire élire ceux qui l’ont signée et battre ceux qui l’ont refusée et ce, quels que soit les
partis concernés.
Jean Garrigues : Malgré tout, le mot "réactionnaire" conserve culturellement une connotation péjorative qui serait préjudiciable à l'image de rénovation et de rajeunissement que veut porter l'UMP. La contradiction serait trop forte avec la modernité et le dynamisme libéral que la jeune génération porte actuellement. En revanche le thème de la conservation d'une identité à travers la famille, la culture française et la francophonie, est compatible avec l'image que veut se donner aujourd'hui la droite républicaine.
Propos recueillis par Gilles Boutin
Marion Duvauchel- Professeur de lettres et de philosophie
Le 31 janvier 2014
Le 30 janvier 2014, je mettais en ligne un article sur la question du genre intitulé « La théorie du genre n’existe pas. Ah bon ». On le trouve en ligne sur deux sites : Vu de France et
Média-presse-info. Je m’appuyais sur des textes qu’on pouvait trouver sur le site officiel « education.gouv ». On les trouvait en cliquant sur la note 66 du site Wikipédia « Théorie du genre ».
Voici l’essentiel du propos de cet article. Le vendredi 8 mars 2013, le ministre déléguée chargée de la réussite éducative a reçu les rectrices et les directrices académiques des services de
l'éducation nationale à l'occasion de la journée internationale des femmes. Ce jour là Mme Olga Trostiansky, fondatrice du laboratoire de l'Égalité a présenté son étude sur les stéréotypes. Elle
y démontrait, en rendant "visible l'invisible", que des stéréotypes persistants imprègneraient l'ensemble de la société dans les champs de l'éducation, des médias et du travail. Madame la
ministre George Pau-Langevin a souligné que « déconstruire les stéréotypes répandus dans la société est l'un des objectifs de l'institution scolaire, et cela à tous les niveaux » et «que cette
mission nécessitait une action d'ensemble à l'École et à l'extérieur de l'École, puisque les représentations sociales s'inscrivent bien au-delà des murs des établissements ». Et pour que les
choses soient bien claires, elle a insisté : « l'École doit être un lieu d'éducation à la mixité et où l'égalité fille-garçon doit être effective ». Moyennant quoi une Convention a été mise en
place. Voici la suite de cette rencontre du ministre et de ses recteurs: Les actions qu'elle prévoit (la Convention) seront déclinées annuellement autour de trois priorités : acquérir et
transmettre une culture de l'égalité entre les sexes ; renforcer l'éducation au respect mutuel et à l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes ; s'engager pour une mixité
plus forte des filières de formation et à tous les niveaux d'études Il y a toute une série de mesures. Celle qui nous intéresse est la mesure 4. Mesure 4 : Éducation au respect mutuel, notamment
dans les séances d’éducation à la sexualité. Il s’agit donc bien de sexualité, contrairement à ce qui est formellement démenti sur toutes les chaînes télévisées et sur toutes les radios de
France. Action 1 : Mise en place d’un groupe de travail sur l’éducation à la sexualité en milieu scolaire Un groupe de travail rassemblant des membres de l’inspection générale de l’éducation
nationale, des personnels de l’éducation nationale, des représentants de parents d’élèves, des organisations lycéennes, d’associations ainsi que l’institut national de prévention et d'éducation
pour la santé (Inpes), sera réuni au cours de quatre séances qui se dérouleront entre octobre et décembre 2012. Les collectivités territoriales (association des maires de France et assemblée des
départements de France) seront également associées. C’est donc même une cause nationale et sur la question de l’éducation à la sexualité, pas seulement sur des questions d’égalité. Les maires de
France vont s’y mettre… L’objectif est de relancer le dispositif d’éducation à la sexualité afin d’améliorer la mise en oeuvre effective des séances prévues dans le code de l’éducation (article
312-13). Plusieurs axes de travail sont d’ores et déjà arrêtés : lancement d’une enquête sur un échantillon représentatif d’établissements publics locaux d'enseignement (Eple) sur la mise en
oeuvre de l’éducation à la sexualité et de l’égalité filles-garçons dans le cadre des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté élaboration d’une charte nationale d’intervention en
milieu scolaire
au lycée : détermination d’actions spécifiques adaptées au public adolescent (prévention des grossesses précoces non désirées, relations garçon-fille, etc Prévenir des grossesses précoces, cela
s’appelle l’avortement. À l’issue des travaux de ces groupes qui concerneront le premier et le second degré un plan d’actions sera arrêté. Une réunion des référents académiques "Éducation à la
sexualité" et "égalité" se tiendra dans le courant du premier trimestre 2013 pour diffuser et accompagner ces orientations. Action 2 : Consolidation des partenariats Deux conventions sont en
cours : la première avec le mouvement français pour le planning familial la seconde avec l’association Action et documentation santé pour l'éducation nationale (prévention santé de la
mutuelle générale de l'éducation nationale) Que vient faire une Mutuelle, fût-ce la mutuelle de l’Education nationale dans cette affaire ? Ces associations proposent des interventions dans les
établissements scolaires et fournissent des ressources documentaires. Le planning familial dispose d’un réseau permettant d’accueillir les jeunes qui en ont besoin. Action 3 : Développer dans le
cadre des plans académiques et des plans départementaux la formation d’équipes pluridisciplinaires en y associant les associations compétentes De telles formations existent déjà dans certaines
académies. L’objectif est de diffuser ces bonnes pratiques afin d’élargir le nombre de personnes formées susceptibles d’intervenir dans les établissements. Que signifie « bonnes pratiques ». A
ces bonnes pratiques répondront aussi les « bonnes personnes ». Cela ressemble étrangement à toutes les machineries des états totalitaires. Un état des lieux des formations organisées en
2012-2013 sera réalisé. Action 4 : Constitution d’espaces et de groupes de paroles filles-garçons dans les établissements À l’issue des travaux du groupe de travail sur la mise en oeuvre de
l’éducation à la sexualité, des orientations seront transmises aux académies dans lesquelles cette mise en place de groupes de parole sera intégrée. Action 5 : Diffusion des résultats de la
future enquête de victimation 2012-2013 Là, ça devient intéressant. Mais d’abord de quoi parle t-on ? de quelle victimisation ? Des filles ? des garçons ? Ces résultats seront communiqués aux
référents éducation à la sexualité et égalité afin qu’ils aient une vision nationale des phénomènes de violences sexistes et à caractère sexuel. Il faut relever une confusion grave entre les
violences sexistes et les violences sexuelles. Entre un propos du type que ceux que les enfants peuvent échanger entre eux « t’es qu’une fille » ou « tu n’es qu’un garçon » et un viol, une
agression sexuelle ou une tournante, il y a tout de même une différence. Et il serait bon de la maintenir. Ou alors, nos juges déjà surmenés par la délinquance actuelle ne pourront plus dormir du
tout. Sans parler de la difficulté de discriminer, dans ce contexte de « changement de paradigme anthropologique » ce que pourront bien être ces violences sexistes.
C’est bel et bien la mise en place d’un formidable système d’encadrement totalitaire de la sexualité de nos enfants et de nos jeunes.
En l’occurrence, il s’agit bien non de l’introduction de la théorie du genre, mais de son application pratique, dés les plus petites classes. Aujourd’hui 31 janvier, le texte a été supprimé et
remplacé par quelques photos et un encadré.
Votre don est indispensable pour garantir notre indépendance financière et notre liberté intellectuelle!
« Une haute culture n’est jamais l’effet d’une haute politique. Mais à l’inverse une haute politique est toujours l’effet d’une haute culture »Friedrich Nietzsche
Les transformations techniques, les ruptures mentales induites par l’usage de plus en plus effréné de la technologie, l’entrée dans la mondialisation ont contribué à profondément bouleverser
notre rapport aux lettres à la culture. Derrière ce qui peut apparaître comme une frénésie de consommation culturelle, se cache en réalité une misère culturelle de moins en moins dissimulable et
de plus en plus manifeste. L’illettrisme et l’inculture sont tels que certains en viennent même en penser que la culture est définitivement morte en Europe. Dans « Règles pour le parc humain »,
Peter Sloterdijk diagnostique ainsi la fin de l'humanisme lettré. Même s’il convient de ne pas tomber dans le catastrophisme, il est clair qu’un certain nombre d’enquêtes récentes et de résultats
statistiques ont de quoi alarmer. Le rapport aux lettres comme du reste le rapport aux arts et à la science est de plus en plus compromis. Il n’est pas imaginable de penser que demain
surviendront des sociétés dans lesquelles – comme dans la vision cauchemardesque décrite dans Fahrenheit 451 – il n’y aura plus de lettres et où tous les livres auront été brûlés. Pire on peut
parfaitement imaginer la survenue d’une société dans laquelle les livres seraient certes conservés – au moins sous forme de fichiers numériques – mais où il n’y aurait plus personne pour les
lire.Le danger qui nous guette de ce point de vue n’est sans doute pas tant la disparition du support livre lui-même que celle des conditions propices à l’exercice de la lecture et au décryptage
des œuvres. Dès à présent, le rapport aux lettres apparaît largement problématique pour nombre de nos concitoyens.Nombre d’entre eux lisent moins d’un livre par an et plus nombreux encore sont
ceux qui lisent moins d’un livre par mois. Comme le suggère une expression française lourde de sens, il se pourrait qu'il y ait à l’avenir de plus en plus de lettres mortes. Déjà, avec le
hurlement sauvage et sadique de l'argent du capitalisme tardif, tout ce qui faisait jadis le charme des salons et de l’univers lettré a disparu – plaisir de la conversation, élégances mondaines,
art de la table, bel esprit, codes aristocratiques, art de la correspondance … - Même par rapport à un passé plus récent, les transformations subies par le monde des lettres ces dernières années
ont été considérables. La phase industrielle qui avait caractérisée en particulier le XIXe siècle et la première moitié du XXe – avec l’émergence de la presse à grand tirage, des prix
littéraires, des maisons d’édition, du livre de poche – renvoie désormais à une époque lointaine et révolue. L’éclipse des petites maisons d'édition, des magazines littéraires et philosophiques,
n’a d’égal que le misérable état matériel de nos enseignants.Nous assistons à une dévalorisation générale du rapport aux lettres et par suite à un déclassement social sans précédent du lettré.
Des personnes qui il y a un siècle encore auraient fait figure de princes de l’esprit oud e références intellectuelles et morales et que l’on serait venu consulter avec respect et componction
font figure aujourd’hui de déclassés et de parias.Ce renversement des valeurs traduit une très grave crise de l’esprit. Il est le corollaire du triomphe de l’argent qui caractérise l’actuelle
société d’hypercapitalisme financiarisé. Le rapport au temps qu’il contribue à inverser, la suppression des médiations, l’accès immédiat et quasi instantané qu’il donne à l’argent et aux plaisirs
qui sont censés aller avec sont autant d’éléments qui ont contribué à inverser le fonctionnement traditionnel de nos sociétés et à rompre le pacte séculaire que celles-ci avaient conclu aussi
bien avec ses membres qu’avec la nature elle-même. Il en est résulté une inversion des rapports existant traditionnellement à l’intérieur de l’ordre du savoir, de l’avoir et du pouvoir. Dans
chacun de ces domaines, l’ordre naturel a été inversé et la pyramide mise tête en bas. Les plus ignares gouvernent les plus savants. Les plus paresseux et les plus faibles exercent un chantage
permanent à l’encontre des plus courageux ou des plus nantis. Enfin, les fausses élites – celles qui ne vivent que par le vice, le mensonge et la prédation – dictent leur loi aux vraies élites –
celles qui fondent leur conduite sur les valeurs de noblesse, de courage et de dévouement.Pourtant il existe des raisons d’espérer. Le triomphe des puissances d’argent ne durera sans doute pas
indéfiniment arrogant et la faillite annoncée du capitalisme financier annonce peut-être un retour de l'humain. L’humanité est ainsi faite que c’est toujours dans les périodes de crise
qu’elle a su trouver l’énergie nécessaire au salutaire rebond. Comme le rappelle avec raison Georges Steiner « C'est dans les abris, sous le Blitz, à Londres, qu'a repris la lecture massive des
classiques. Les grandes valeurs tiennent notre conscience en vie. Le kitsch ne peut pas les remplacer. Dans des temps très difficiles, nous pourrions revenir aux grandes œuvres. Jamais lessalles
de concert et les musées n'ont été aussi fréquentés. Il existe donc des raisons d’espérer. »
Pour autant, il convient de rester lucide sur la gravité de la situation présente. Rarement le vide intellectuel aura été si manifeste. Rarement l’inculture aura été aussi sidérale. Même aux
pires heures de l’empire romain décadent on n’avait pas connu cela. Il faut remonter aux pires heures de la domination mérovingienne ou des conquêtes huniques pour voir le spectacle de la
barbarie et de l’inculture s’étaler avec tant de force et tant d’ostentation. Les signes contraires ne manquent pas. L'inculture est assumée, voire revendiquée, y compris dans les couches
les plus élevées de la société. La télévision et la Toile saturent l'existence. C'est très inquiétant, particulièrement en France, où la vie de l'esprit a toujours été très politique, très
publique, très exemplaire. Une grande partie de la perte d’identité de la France et du sentiment de malaise ressenti année après année par les Français vient incontestablement de là. De ce
rapport désacralisé à la connaissance et de ce nivellement des valeurs qui rend indiscernables le pur chef d’œuvre et l’immonde torchis.Cela dit, ces technologies qui miment la tradition
classique pourraient aussi être de très grands outils de dissémination pédagogique. Par internet, n'importe quelle petite école peut accéder aux plus grandes œuvres. Les pays asiatiques sont les
premiers à avoir su tirer le parti de cette situation nouvelle et tirer toute le bénéfice de ce contexte nouveau. On voit ainsi année après année débarquer sur le marché du travail de jeunes
indiens ou de jeunes chinois nourris de haute littérature, pratiquant à merveille les arts européens – musique, peinture, architecture –, excellant dans les disciplines scientifiques les plus
difficiles. Des élèves qui allient souvent à une authentique puissance de travail d’époustouflantes qualités d'intelligence, d'enthousiasme, de puissance créatrice.
Ces élèves ont pour caractéristique commune de ne pas avoir renoncé au savoir ni aux pédagogies traditionnelles. Leur système d’apprentissage est fondé sur la mémoire. Mieux que d’autres, ils ont
compris que sans la mémoire il ne saurait y avoir de culture. En ce sens, ils sont peut-être les vrais descendants des européens – les vrais continuateurs de la Grèce et de Rome. Les Grecs
avaient en effet vu toute l’importance de la mémoire. Ce n’est du reste pas un hasard s’ils en avaient fait la mère de toutes les Muses. Ils savaient que ce qu'on ne peut pas apprendre par
cœur, on ne le connaîtra jamais profondément, on ne l'aimera jamais assez.
La France a connu des périodes où la culture était une religion. Après avoir chassé les prêtres et banni le culte catholique, elle a crû trouver dans cette conservation artificielle mais en soi
louable du passé un ersatz de foi. Las ! Ce temps lui-même semble définitivement révolu. Aux antipodes du vieux fonds catholique de ce pays qui interdisait de parler d’argent à table et faisait
des valeurs d’humilité, de courtoisie, de pudeur et de respect les principes premiers de toute vie en société, la génération 68 a ouvert grand les vannes de la grossièreté – Hara Kiri, l’immonde
ancêtre de Charlie Hebdo ne se définissait-il pas comme le journal bête et méchant ! – et laisser partout déferler le culte de l’immonde et le spectacle de la vulgarité. Partout triomphent
l’argent et la pornographie.La haine viscérale professée par les élites de ce pays contre le Christ et tout ce qui, de près ou de loin, peut évoquer le christianisme, s’est traduit de
manière très logique par une exacerbation des comportements païens les plus ignobles, par un culte toujours renouvelé rendu au veau d’or et par une déconsidération sans borne de tout ce qui
faisait la marque du courage. Longtemps célébrés les héros antiques ont été assassinés une seconde foi et relégués une bonne foi pour toutes dans les poubelles de l’histoire. En lieu et place des
héros et des saints, on nous somme d’adorer des idoles – qui portent bien leur nom – dont la cuistrerie et la veulerie n’ont d’égale que l’imbécillité et l’inculture. Dans ce schéma d’inversion
total les premières victimes du processus d’inversion ont été les personnes dépositaires de l’aura sacrale : prêtres, religieux, lettrés, professeurs, soldats…Dans un enchaînement parfaitement en
phase avec ce qui constitue la logique d’inversion de la modernité, tous ceux qui étaient dépositaires d’un peu d’autorité ont été diffamés et raillés puis neutralisés, évincés et parfois exclus
même de la société.Comment s’étonner dès lors que les professeurs ne disposent plus d’autorité. Leur émasculation est inscrite dans l’ADN même du logiciel postmoderne. Dans les années 50, il eût
été impensable qu’un élève contestât la parole d’un professeur. L’enseignant était roi en son royaume et le jury, selon l’expression consacrée, était souverain. Il existait une différence
substantielle, ontologique serait-on presque tenté de dire entre le maître et l’élève, entre le détenteur du savoir et celui qui n’en était au mieux que le quémandeur. Il arrivait à certains
professeurs en entrant dans la classe de dire à leurs élèves comme pour mieux marquer cette différence : « Messieurs, c'est vous ou moi. » C’était sans doute un peu rude dans la forme mais tout
était dit sur le fond.Revenir à cette discipline mentale supposerait de revenir sur 50 années d’inversion psychologique, mentale, anthropologique et culturelle. De s’imposer une discipline
physique et une ascèse mentale dont les élites en place ne veulent à aucun prix, qu’une large partie de la population redoute et dont l’immense majorité des masses se révèle tout simplement
incapable. De changer fondamentalement les paradigmes sur lesquels nous avons laissé bâtir nos sociétés depuis 50 ans.Chose d’autant plus difficile que le pouvoir est aujourd’hui aux mains de
ceux qui ont précisément appliqué avec méthode ces principes destructeurs durant 50 ans et dont le succès illustre aux yeux de la jeunesse le triomphe cynique en quelque sorte. Rappelons que les
deux produits qui engendrent la plus grande circulation d'argent du monde sont la pornographie, les armes et la drogue. Les chiffres d’affaires des mafias qui contrôlent ces marchés se chiffrent
à des centaines de milliards d’euros. Considérer que la libre diffusion de ces poisons constitue l’avenir radieux promis par la modernité et la loi ultime du progrès c’est scier la branche même
sur laquelle nous sommes assis. L’entreprise de reconquête du pouvoir et de la culture passera nécessairement par la mise hors d’état de nuire de ces réseaux mafieux dont le triomphe est une
insulte quotidienne aux règles mêmes du bon sens et du droit. Elle passera par une lutte sans merci – à l’image de celle qu’avait engagée en son temps Eliot Ness contre Al Capone – pour mettre
hors d’état de nuire les chefs de gangs et autres trafiquants de drogue. Elle passera par un combat sans merci contre tous ceux qui, ouvertement ou tacitement, directement ou insidieusement
tentent de minimiser la gravité de ces actes ou d’en réduire la portée sociale, se rendant ainsi complice d’un système qui assure le triomphe du plus cruel, du plus rusé et du plus pervers.La
tâche est immense on le voit. A la hauteur du défi.
David Mascré
Interview de Georges Steiner parue sous le titre « Steiner : Spinoza, Harry Potter et moi », Le Point n°1845, 4 janvier 2008.